Dans la Tribu, il y a de nouveaux habitants. Ils ont plein de pattes, des ailes, des mandibules et produisent un son caractéristique de la belle saison qui, si le soleil était plus présent, pourraient laisser à penser que nous vivons dans la belle Provence.
Et oui, les grillons ont fait leur retour sous notre toit depuis quelques semaines et c’est très folklorique.
Car autant les années précédentes cette passion se manifestait par quelques spécimens capturés, étudiés et relâchés, autant ce printemps, ils ont été cordialement invités à prendre leurs aises.
En effet, Perle et Championne (les passionnées, donc) ont trouvé en certains camarades de classe de puissants alliés et ainsi, sous couvert d’une demande collégiale, ont pu me convaincre (étais-je seulement difficile à convaincre!) d’offrir un toit en garde partagée à tous leurs nouveaux compagnons.
Car oui, ces bestioles appartiennent au groupe d’éleveurs en herbe. Qui les promènent de maison en maison, de la classe à la cour de récré.
Mais très vite, ma future véto, j’ai nommée Perle, prit la décision de leur installer un vrai nid douillet à la maison.
Aussi, il fût décidé tacitement par nos entomologistes juniors que les grillons seraient bien mieux chez Perle, à demeure, que de naviguer d’un propriétaire à l’autre.
Et donc, tous les matins et tous les soirs, mes deux fillettes transvasaient allègrement leurs animaux d’une cage à maintes boites en plastique et vice-versa.
Précautionneusement, elles les charriaient à l’école, où messires grillons retrouvaient leurs propriétaires respectifs.
Bien sur, nous en avions la garde exclusive le week-end. Pas moyen de négocier une garde alternée.
Heureusement, Perle, et ses aspirations vétérinaires, possède d’excellentes connaissances sur les habitudes de vie et d’habitat de ces insectes, et rapidement elle leur aménageait un vivarium quatre étoiles.
Et ce qui devait arriver arriva.
Les grillons se sentant fort à leur aise dans leur nouveau palace, se rapprochèrent, organisant certainement speed-dating et autres rencontres et les premiers couples se formèrent.
Enfin, couples c’est vite dit. C’est qu’ils ont une vie dissolue, ces carapacés !
Et vas-y que je grince à qui mieux mieux pour attirer la blondasse du coin de cage. Que je me bats avec le premier venu pour avoir la primeur de la défloration de la virginale grillonne ! Chaque heure du week-end nous amena son lot de membres désarticulés, cadavres dépecés, ou femelle agressée !
Perle décida donc d’agir et sépara la troupe par affinités. Elle créa un hôtel spécial dames et laissa ces messieurs se disputer la meilleure place du leur.
Mais le mal était fait et c’est dans l’excitation générale que nous assistions à la naissance (enfin la pondaison) des premiers rejetons de notre peuple grillon.
Toutes excitées par cet événement, le lundi matin, les filles étaient fières comme des pape(sse)s en transportant toute cette population en devenir à leurs camarades.
Seulement la révolte couvait.
Depuis quelques jours, les autorités compétentes (l’instit quoi) regardait d’une mauvais œil ces nouveaux élèves. Il faut dire qu’ils sont bien indisciplinés.
Et que je chante à voix haute, que je ne tiens pas en place, que je me balade dans les rangs, impossible de trouver de quoi les occuper en classe.
Aussi, la maîtresse obtint de nos jeunes éleveurs qu’ils laissent leurs copains à pattes à l’extérieur, dans la cour de récré.
Mais nos enfants étaient bien perturbés de cette séparation. Et comme une mère qui laisse son petit pour la première fois à la baby-sitter, ils ne pouvaient oublier un instant les insectes. Entre deux exercices de maths et une évaluation de grammaire, les enfants s’échangeaient mots et papiers s’inquiétant du sort des grillons.
Couvaient d’un air farouche leur élevage face aux autres élèves de l’école. Oubliaient de courir en rond pendant l’EPS pour mieux courir vers leurs protégés.
Et la rébellion éclata. Un échange de petits mots de trop, un crissement trop fortement chanté, en tout cas la goutte d’eau fit déborder l’instit, qui alpaguant une des éleveuses, lui infligea remontrances et sanctions, pour faire l’exemple.
Bien qu’amie des bêtes, je ne pus que me plier au besoin de concentration de notre pauvre maîtresse, et pria mes enfants de déscolariser leurs grillons, afin d’épargner la santé nerveuse de leur professeure.
Après moult ronchonnements et tentatives de corruption, je réussis à triompher de la négociation. Et c’est ainsi qu’hier soir, Perle et Championne rentrèrent à la maison chargées comme des mules, entre les insectes, leurs caisses de transport et quelques conseils et recommandations des autres « parents ».
Et là, c’est le drame….Bien encombrée des damoiselles grillones, attentive à ne pas leur infliger de secousses en montant dans la voiture, Perle trébucha et laissa échapper ses protégés.
Une dizaine de grillons en escapade dans l’auto. Une anarchie, une débandade sous les cris paniqués des éleveuses. Sous mes jurons bien sentis de voir ces amicaux mais repoussants insectes se faufiler dans mon sac à main ou se faire la malle dans les vides-poches.
Ma bienveillance et ma bonhomie en prirent un coup j’avoue.
Et je punis l’affront en décrétant un arrêté familial :
LES GRILLONS C’EST TERMINE !!!
Enfin, presque…Sont pas loin, les coquins. Sur la terrasse, bien à l’abri. Nourris, chouchoutés en douce. Chantant à qui mieux mieux comme pour mieux me narguer.
Sinon, quelqu’un serait intéressé par un bébé grillon ?
Parce que, si j’en crois mes expertes, d’ici une quinzaine de jours, les éclosions vont débuter….
Nos aventures entomologistes sont loin d’être terminées, moi je vous le dis….