Quand j’étais enfant, je me disputais l’honneur avec mes sœurs, d’aller « voir » le courrier.
C’était la course jusqu’aux clés de la boîte aux lettres, une bataille sans mercis afin d’avoir entre nos mains le Saint Graal, c’est à dire quelques enveloppes et autres prospectus, qui revêtaient pour nous une importance capitale.
Nous espérions sans doute découvrir entre deux factures une enveloppe mystérieuse portant fièrement notre prénom.
Ce n’était que rarement le cas hélas, bien qu’à l’heure encore des échanges épistolaires et non virtuels. A l’occasion d’un anniversaire, d’un séjour au soleil, une carte bariolée parfois nous était destinée, cela s’arrêtait là.
Mais le temps a passé, les enfants que nous étions ont grandi, pris leur envol du nid familial et chacun installé sa boite aux lettres.
Doux plaisir s’il en est de coller impeccablement (ou pas) une étiquette à notre nom, sur une boite en métal. Parfois au milieu de dizaines d’autres, dans un hall d’immeuble, et enfin sur une belle boite neuve, entre un grillage et un portail, annonçant fièrement au monde postal, que cette maison nous appartient. Parfois même l’étiquette est remplacée au profit d’une rutilante plaquette dorée. Réussite suprême !
Seulement maintenant, quand j’entends les freins de la voiture jaune crisser devant ma boite, quand le bruit caractéristique du volet métallique résonne, signe que « C’est bon ! Y a du courrier !« , je ne fais plus la course avec mes enfants pour être la première à saisir le trousseau de clés.
J’attends, et je tremble. J’attends que l’enfant rentre, chargé de son « trésor ». J’attends qu’il ait épluché consciencieusement la pile d’enveloppe, à son tour attentif à une hypothétique lettre lui étant destinée. J’attends qu’il trie méthodiquement, séparant celles « pour Papa » de celles « pour Maman », les anonymes glissées dans la liasse de prospectus. Prospectus que je concède bien volontiers à mes enfants, avides de promotion et de catalogues divers.
Et je m’avance, en tremblant.
J’ose enfin saisir le tas d’enveloppes délaissé par l’enfant. Et j’espère. Je croise intérieurement les doigts.
Que plus jamais je ne trouve CE courrier. Au logo bleu et jaune. Qui m’informe bien poliment, dans les règles de l’art, qu’une information préoccupante a été rapportée aux services de la Protection de l’Enfance. Ce courrier qui m’a coûté des nuits d’insomnie et de cauchemars.
Plus jamais.