Quand je ne réalise pas

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Je vous racontais il y a quelques jours comment Perle affronte vaillamment ses démons, pour être « normale ».

Mais j’ai le doute et l’angoisse chevillés au cœur depuis si longtemps, que je n’arrive pas à relâcher ma vigilance. Tout le temps, trop fort.

Quand je la dépose à son travail, au centre équestre, et que je la suis du regard, discrètement dans le rétroviseur, pour être sûre qu’elle y va bien. Quand mon doute est persuadé qu’elle va se planquer quelque part, et m’attendre jusqu’au soir.

Quand je la récupère le soir, et que de loin, je guette déjà les signes de l’angoisse ou de la tristesse sur son visage.

Quand j’interprète chacun de ses silences comme un mal-être. 

Quand je provoque la discussion au sujet de l’internat et que je devine (imagine ?) sa panique.

Quand, lors des entraînements de foot, je reste toujours auprès d’elle, répondant pour elle à ses co-équipières, détournant son attention, pour la détendre.

Mais a-t’elle encore besoin de mes remparts ? A-t’elle encore besoin de mon bouclier, de ma voix, de mes bras, à chacun de ses pas ?

Quand elle est debout dès l’aube, prête bien avant l’heure, dévorant chaque repas, tellement le travail physique la stimule.

Quand elle rentre le soir, percluse de fatigue, recouverte de poussière et de graisse à sellerie.

Quand elle raconte, un peu, les bêtises des chevaux.

Quand elle devient acharnée, obstinée, sur le terrain vert, alors que ses jambes ne la portent plus et que son souffle est trop court.

Quand je la vois prendre, un peu, de distance avec moi devant ses co-équipières. Quand, de loin, je la vois répondre aux conversations des filles.

Quand elle s’applique pour ses devoirs scolaires, les effectuant de bon cœur.

Quand elle parle de son retour à l’internat, lundi prochain, avec crainte mais pas trop quand même.

Quand je la trouve encore grandie, que son mètre soixante-dix me semble gigantesque, parce que maintenant son visage n’est plus jamais caché derrière ses cheveux.

Mais je ne réalise toujours pas. 8 ans de cauchemars collés à ma peau. 8 ans à affronter le monde pour elle, à la cacher derrière moi, à avancer à reculons, pesant chacun de mes mots, de mes regards, pour ne pas exacerber encore plus son angoisse.

8 ans où chaque semblant d’avancée est balayé par un recul violent.

Il va falloir que je baisse les armes, que je lâche prise. Que je lui lâche la main. 

Il va bien falloir, hein. Mais bon sang, qu’est-ce que ça fait peur.

Alors, la vie a repris ses droits

Alors que le goût d’écrire m’avait quitté depuis bien longtemps, il me vient à nouveau comme une envie de vous dire, de vous raconter, vous qui avez suivi son histoire depuis le début, lorsque chacune de mes respirations n’était que cri de souffrance et de désespoir.

C’est bien sûr de mon doux, mon tendre, mon incroyable Amour que je parle. Ma Perle. En début d’année, sa vie était sur pause depuis quelques mois déjà, suite à notre décision de la retirer du collège.

J’avais choisi d’arrêter mon activité professionnelle pour me consacrer à ses études. Mais pas évident, je me suis retrouvée coincée dans mes habitudes de mère au foyer, courant amener un enfant par-là, en chercher un(e) autre par-ci, tout en essayant de monter une activité auto-entreprenariale, histoire de m’occuper un peu plus.

Alors, Perle est restée, sur son canapé, devant ses dessins, sagement, sans mot dire, comme elle sait si bien le faire.

Et je l’ai un peu oubliée. Elle était là, je savais toujours où la trouver, pour un câlin, une sortie, un besoin. Mon activité prenait de l’ampleur, ma santé défaillait et je l’ai « zappée ».

Et un jour, elle s’est rebellée. Et a dit en avoir assez d’être la seule enfant à rester à la maison, sans activité, sans rien à raconter le soir, lors du repas. A écouter ses soeurs et frère raconter leurs journées, à les voir partir chaque matin vers de nouvelles aventures.

Et alors elle m’a dit : je veux retourner à l’école. Moi aussi, je veux être normale.

Coup de tonnerre dans mon petit monde bien rangé.

Alors, on a cherché. Et rapidement, on a trouvé. Grâce à son attirance pour le monde agricole, on a très vite déniché une structure qui propose un cycle de formation pour nos futurs agriculteurs.

Et une nouvelle bataille a commencé. Réussir à inscrire une ado désco, c’est pas simple. Il aura fallu s’accrocher jusqu’à fin juillet, où enfin, nous avons reçu son attestation d’inscription. En MFR, en 4ème agricole. 

Alors il a fallu remuer ciel et terre pour lui trouver des lieux de stage.

Et le 5 septembre 2016, à 14h, Perle a repris le chemin de l’école. Avec sa valise et ses angoisses, accompagnée par son papa, car ma panique a gagné et empêché de l’escorter.

Cette première semaine d’école a été cauchemardesque et extra-ordinaire à la fois : Perle a résisté les deux premiers jours jusqu’à s’effondrer et sombrer dans l’angoisse. Mais nous avons alors découvert à quel point l’ensemble des encadrants de son école sont bienveillants. Ils l’ont soutenue, encore et encore. Tirée vers le haut, toujours. Encouragée, complimentée, jamais abandonnée. Ils nous ont appelé, des heures durant, jour et nuit. Questionnés pour connaître au mieux notre fille. Et ça a payé. 

Après avoir touché le fond mercredi, jeudi midi Perle a rebondi de façon spectaculaire et a terminé sa semaine sans nouvelle crise de panique.

Et vendredi, j’étais bien trop en avance pour récupérer ma battante. Le coeur tremblant et les mains moites.

Et là, encore, une nouvelle victoire. Quand ses intervenants viennent à moi, souriants. Fiers de Perle, dédramatisant la semaine, en lui réitérant leur soutien et leur confiance.

Quand ils me disent que scolairement, elle dépote ! Quand leur calme et leur assurance me paraissent miel et douceur sur mes angoisses.

Et déjà, j’aperçois un changement flagrant sur ma fille : elle est droite et souriante, parle à haute et claire voix.

Et continue ses progrès, en intégrant une équipe de foot féminin, disputant ses premiers matchs, avec obstination et courage, malgré les défaites cuisantes. Je la vois vivante et vibrante.

Et ce matin, une nouvelle étape encore. Je l’ai déposée dans un centre équestre, où elle va effectuer 8 semaines de stage. Où elle va pouvoir combler son besoin d’être au contact des animaux.

Comme j’ai hâte qu’elle me raconte. Comme j’ai hâte de savourer son sourire et ses yeux qui pétillent. 

Je me gave de ses rires, de ses anecdotes gloussantes au sujet des garçons à l’école. 

Sa vie vient de (re)commencer, et cette fois, je ne la laisserai pas s’arrêter.

to be continued ….